Aujourd'hui, une question essentielle anime les spécialistes du management : qu'est-ce qui détermine réellement la performance et la pérennité d'une entreprise ? C'est un débat riche et nuancé, loin d'être tranché, et qui nécessite une analyse critique des organisations. Par cette expression, j'entends une démarche intellectuelle qui ne se contente pas de la surface des choses, mais cherche à comprendre en profondeur les mécanismes, les dynamiques de pouvoir et de légitimation qui façonnent le fonctionnement d'une entreprise.
Dans ce débat, je me range du côté de ce que l'on appelle une "approche pratique de la stratégie". L'idée maîtresse est que l'avenir d'une entreprise se construit au quotidien, à travers les actions concrètes de ses collaborateurs. Il devient donc crucial d'examiner attentivement ce que font les équipes au jour le jour : quelles sont les pratiques des employés dans les entreprises performantes ? Et qu'observe-t-on ailleurs ? C'est à ce niveau, dans les attitudes et les comportements quotidiens, que réside une source majeure d'avantage concurrentiel. Or, une analyse critique des organisations nous pousse à ne pas considérer ces pratiques comme allant de soi. Elle nous invite à questionner leur origine, leur justification et leurs implications sur la performance globale. Ces attitudes et ces comportements sont profondément liés aux mentalités, aux dialogues internes – un aspect souvent sous-estimé (excepté dans le sport de haut niveau où la quête de performance est exacerbée). L'analyse critique nous encourage ici à explorer comment ces mentalités sont construites et maintenues au sein de l'organisation.
En réalité, cet avenir qui préoccupe tant les stratèges se façonne à chaque instant présent. Dès mes recherches doctorales, et en accord avec mes expériences antérieures, j'ai toujours accordé une importance primordiale à la rencontre des professionnels sur le terrain (pas uniquement les dirigeants, mais l'ensemble des collaborateurs), à l'observation de leurs pratiques (les outils qu'ils utilisent), de leurs attitudes, de leurs comportements et de leurs activités (les réunions, les moments informels après le travail...). Je suis convaincu que la subtilité de la performance se niche dans le détail de la pratique quotidienne. L'analyse critique des organisations dans ce contexte implique de ne pas simplement enregistrer ces observations, mais de les interpréter à travers le prisme des structures organisationnelles, des cultures d'entreprise et des jeux de pouvoir qui peuvent influencer ces pratiques.
Pour conduire l'entreprise vers le succès et, avant tout, assurer sa survie, la direction, soutenue par le contrôle de gestion, doit s'efforcer de piloter et de coordonner les actions des collaborateurs. En effet, alors que de nombreux théoriciens définissent la stratégie comme le projet ou la vision portée par la direction générale, je considère, avec d'autres, que ce qui explique fondamentalement les performances des entreprises, ce sont les actions (ou inactions, ou les changements d'actions) des individus. Pour le dire autrement, c'est la mise en œuvre concrète qui prime. L'analyse critique ici nous amène à interroger la relation entre la stratégie affichée et les pratiques réelles. Y a-t-il une cohérence ? Quels sont les écarts et pourquoi existent-ils ? Les analyses poussées, les déclarations d'intentions et les décisions stratégiques n'ont de valeur que si elles se traduisent par une différence tangible dans le travail quotidien. L'approche pratique met l'accent sur le "comment" plutôt que sur le "quoi". L'analyse critique des organisations enrichit cette perspective en examinant les processus de décision, les mécanismes de communication et les éventuelles résistances au changement qui peuvent impacter la mise en œuvre.
C'est pour souligner cette dimension pragmatique et quotidienne que nous parlons de "pratique de la stratégie". Dans cette perspective, le rôle du contrôleur de gestion, qui fournit informations, vérifications et conseils à la direction, est fondamental. Il est de fait associé au management stratégique de l'entreprise. L'analyse critique du rôle du contrôleur de gestion nous invite à considérer son positionnement au sein de l'organisation, ses marges de manœuvre et son influence réelle sur les décisions stratégiques.
Bien entendu, de nombreuses autres approches, souvent complémentaires, enrichissent ce débat complexe. C'est ce qui fait de la gestion et du management un domaine scientifique passionnant. L'analyse critique des organisations reconnaît cette pluralité de perspectives et cherche à comprendre leurs forces et leurs limites respectives. Il est indéniable qu'une part du destin d'une entreprise échappe à son contrôle direct. Son environnement peut se révéler favorable, mais il peut aussi l'exposer à des menaces aussi graves qu'imprévisibles, face auxquelles elle peut se trouver désarmée. L'analyse critique nous rappelle que la stratégie n'opère jamais dans un vide, mais dans un contexte économique, social et politique qui exerce une influence considérable. La stratégie, aussi cruciale soit-elle, n'est pas une panacée, et l'analyse critique des organisations nous aide à en comprendre les raisons profondes.
Pascal Koeberlé et François Geoffroy, « Les décisions publiques au carrefour des influences », Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 16 | 2019
Quelles réactions face à un projet de changement ? Notre dernier article (avec François Geoffroy), paru dans la Revue Française des Sciences de l'Information et de la Communication, se concentre sur le cas d'une commune rurale visée pour l'implantation d'un village de vacances. Les comportements des individus et des groupes, que nous avons analysés, peuvent être d'autant mieux anticipés et gérés qu'ils sont compris et acceptés comme des réactions légitimes. Les managers, porteurs des projets, sont aussi chargés de la délicate mission de fédérer des attentes souvent contradictoires, et de canaliser les énergies en préservant les motivations individuelles. Avec leurs propres fragilités.
Au-delà du sens commun, le dirigeant dirige-t-il vraiment l'entreprise ? Les décisions qu'il arrête ne sont-elles pas co-construites avec des parties prenantes de plus en plus influentes (actionnaires, clients, salariés, prêteurs, élus...) ?
Cette question est d'importance. Les dirigeants sont souvent les seuls à qui l'on demande des comptes concernant la gestion de l'entreprise. Si les décisions ne sont pas vraiment les leurs, cette situation est-elle juste ? Cette introduction générale de ma thèse de doctorat, élabore cette réflexion et invite à s'interroger : qui pilote l'organisation "polyphonique" ?
Les projets d’implantation sont exposés à des risques de refus. La littérature identifie 10 principes de communication d’acceptabilité, mais leur ancrage théorique a été peu discuté, ce qui limite leur portée. Cet article montre que ces 10 principes sont bel et bien des implications pratiques de l’approche « constitutive » de la communication. Il contribue à la connaissance des ressources communicationnelles de légitimation des projets d’implantation.
Pour citer cet article : Koeberlé P. & Geoffroy F. (2015), "Communiquer pour protéger les projets d’implantation des risques de refus", Management & Avenir, 7/2015 (N° 81), p. 185-207
Thèse de doctorat. | Issuu is a digital publishing platform that makes it simple to publish magazines, catalogs, newspapers, books, and more online. Easily share your publications and get them in front of Issuu's millions of monthly readers.
Cette thèse de doctorat examine les discours suscités par un projet de création d'un parc de loisirs dans une commune rurale française, qui ont finalement abouti à l'abandon du projet. Elle souligne que la stratégie d'une organisation (ici, celle de la commune) est conditionnée par des influences internes et externes qui s'avèrent extrêmement opaques. Si ces influences sont déjà difficiles à décrypter dans le contexte de cette organisation de très petite taille, qu'en est-il dans des structures plus conséquentes ?
Cette commune rurale fait alors office de cas "révélateur", justifiant de poser beaucoup plus largement des questions essentielles : Qui dirige vraiment l'organisation ? Qui "fait" réellement la stratégie ? Quels intérêts les organisations servent-elles effectivement à travers leur stratégie ?
Cette thèse soulève des questionnements essentiels, qui sont au coeur d'évolutions sociétales et de préoccupations pour le devenir de notre planète et de nos modes de vie.
"Si la communication est organisationnelle, ce n'est pas parce qu'elle se déroule dans les organisations, mais plutôt parce qu'elle organise les activités et les interprétations de plusieurs personnes en une forme reconnaissable, et qu'elle maintient ou modifie cette forme pour permettre une action collective. Étudier la communication organisationnelle, c'est donc étudier les processus sociaux qui créent et maintiennent les structures dominantes de notre société".
Traduction en français de la vidéo "What is organizational communication?" développée par Matt Koschmanm (Université de Colorado, Boulder). Cette traduction a été rendue possible par le soutien financier de la Faculté de communication de l'UQAM. Voix et coordination de la traduction: Consuelo Vasquez; édition: Émilie Pelletier et Sophie Del Fa; montage et post-production: Sylvain Arsenault. Montréal juillet 2017